Steve Jobs
Introduction
Steve Jobs, né le 24 février 1955 à San Francisco (Californie) et mort le 5 octobre 2011 à Palo Alto (dans le même État), est un entrepreneur et inventeur américain, souvent qualifié de visionnaire, et une figure majeure de l'électronique grand public, notamment pionnier de l'avènement de l'ordinateur personnel, du baladeur numérique, du smartphone et de la tablette tactile. Cofondateur, directeur général et président du conseil d'administration de l'entreprise multinationale américaine Apple Inc, il dirige aussi les studios Pixar et devient membre du conseil d'administration de Disney lors du rachat en 2006 de Pixar par Disney.
Steve Jobs, Steve Wozniak et Ronald Wayne créent Apple le 1er avril 1976 à Cupertino. Au début des années 1980, Steve Jobs saisit le potentiel commercial des travaux du Xerox Parc sur le couple interface graphique/souris, ce qui conduit à la conception du Lisa, puis du Macintosh en 1984, les premiers ordinateurs grand public à profiter de ces innovations. Après avoir perdu sa lutte de pouvoir à la tête d'Apple avec John Sculley, le directeur général qu'il avait pourtant recruté, il quitte l'entreprise en septembre 1985 pour fonder NeXT.
En 1986, il rachète la division Graphics Group de Lucasfilm, la transforme en Pixar Animation Studios et rencontre le succès commercial en 1995 avec Toy Story, un film dont il est le producteur exécutif. Il reste directeur général propriétaire de la société (à 50,1 %) jusqu'à son acquisition par la Walt Disney Company en 2006.
Début 1997, Apple, alors au bord de la faillite, rachète NeXT. L'opération permet à Steve Jobs de revenir à la tête de la firme qu'il a cofondée et fournit à Apple le code source de NeXTSTEP à partir duquel est développé le système d'exploitation Mac OS X. Il supervise durant les quatorze années suivantes la création, le lancement et le développement de l'iMac (1998), de l'iPod, d'iTunes et de la chaîne de magasins Apple Store (2001), de l'iTunes Store (2003), de l'iPhone (2007) et de l'iPad (2010), présentant les différents produits à un rythme pluriannuel lors de ses fameuses keynotes et faisant de son entreprise une des plus riches au monde au moment de sa mort.
En 2003, Steve Jobs apprend qu'il est atteint d'une forme rare de cancer pancréatique. Il refuse d'abord la chirurgie et a recours à différentes méthodes pseudo-scientifiques (acupuncture, consommation de carottes et jus de fruits), qui ne retarderont pas la progression de sa maladie et l'apparition de métastases. Il fait finalement l'objet de plusieurs hospitalisations et arrêts de travail, apparaissant de plus en plus amaigri au fur et à mesure que sa santé décline. Il meurt le 5 octobre 2011 à son domicile de Palo Alto, à l'âge de cinquante-six ans. Sa mort soulève une importante vague d’émotions à travers le monde.
Jeunesse et études
Steven Paul Jobs naît le 24 février 1955 à San Francisco en Californiea, d'un père d'origine syrienne étudiant en sciences politiques, Abdulfattah « John » Jandali (en arabe : عبدالفتاح جندلي), et de Joanne Carole Schieble, américaine d'origine suissea. Ils ne sont à l'époque pas mariésa. Alors que Joanne est enceinte, le père de Joanne menace de la déshériter si elle épouse Abdulfattah « John » Jandali, car il est non catholique, ce qui l'amène à consulter un avocat de San Francisco pour trouver une famille adoptive à l'enfanta.
Le nouveau-né est alors adopté par Paul Reinhold Jobs (1922–1993) et son épouse Clara, née Hagopian, d'origine arménienne (1924–1986). Adulte, lorsqu'il est interrogé à propos de ses parents adoptifs, Jobs répond que Paul et Clara Jobs « sont ses parents ». Dans sa biographie autorisée, il déclare que ce sont ses parents à 1 000 %. Quant à ses parents biologiques, ils se marient en 1955 et ont un second enfant, Mona Simpson en 1957, puis divorcent en 1962.
Lorsque Steve a deux ans, ses parents adoptent une fille, Patty. Trois ans plus tard, la famille Jobs déménage de San Francisco pour s'installer à Mountain View, en Californie, après la mutation de Paul Jobs à Palo Alto. Celui-ci est alors machiniste dans une entreprise qui fabrique des lasers, et enseigne à son fils des rudiments d'électronique, tout comme à se servir de ses mains. Pour sa part, Clara est comptable et apprend à lire à Steve avant qu'il n'aille à l'école.
Jobs entame sa scolarité à la Monta Loma Elementary à Mountain View puis intègre la toute proche Crittenden Middle School mais, à la suite de problèmes scolaires, il lance un ultimatum à ses parents : soit ils le font changer d'établissement, soit il arrête l'école. La famille déménage alors cinq kilomètres plus au sud, au 2066 Crist Drive à Los Altos, ce qui permet à Steve de poursuivre son cursus scolaire à la Cupertino Middle School puis à la Homestead High School à Cupertino. Larry Lang, un ingénieur qui habite à cent mètres de leur ancienne maison et chez qui Jobs passe de nombreuses soirées, le fait entrer au club des Explorateurs d'Hewlett-Packard. Quinze élèves s'y réunissent tous les mardis soir dans la cafétéria de l'entreprise et font venir un ingénieur en informatique de la société pour parler de ses travaux. À la suite de l'une de ces conférences, il convie l'un des élèves à visiter son laboratoire ; c'est à cette occasion que le jeune Steve voit le premier ordinateur de bureau qu'Hewlett-Packard développe, le 9100A. Âgé de treize ans, il n'hésite pas à téléphoner à William Hewlett, le président de l'entreprise qui porte en partie son nom. Steve est en train de construire un fréquencemètre et il a besoin de pièces. Ils discutent pendant vingt minutes, Hewlett lui expédie les composants dont il a besoin et lui offre un emploi d'été dans son entreprise.
Après sa première année à Homestead High, Steve Jobs travaille donc durant l'été sur l'une des chaînes d'assemblage d'Hewlett-Packard. À la même époque, un camarade de classe de Homestead High, Bill Fernandez, lui présente Steve Wozniak. Ils partagent la même passion de l'électronique, ils deviennent amis et réalisent ensemble de nombreux canulars. En septembre 1971, les deux Steve mettent la main sur un article du magazine Esquire qui explique comment fabriquer une blue box, un appareil qui permet de passer des appels longue distance de façon entièrement gratuite en fraudant donc les sociétés téléphoniques, et plus précisément AT&T. Ils décident alors d'en monter et de les vendre. Selon Jobs, cette expérience est à l'origine d'Apple.
En 1972, à sa sortie de Homestead High, il décide de poursuivre ses études à Reed College à Portland dans l'Oregon où il rencontre Daniel Kottke. À la suite de plusieurs lectures d'ouvrages sur la spiritualité orientale lors de cette première année à Reed, ils deviennent tous les deux végétariens. Toujours à Reed College, il rencontre un autre adepte de la spiritualité orientale et son futur gourou, Robert Friedland. Ce dernier dirige une grande ferme communautaire de cent hectares, l'All One Farm, où le jeune Steve se rend souvent.
Très vite, Jobs se rend compte qu'il s'ennuie à Reed, se trouvant dans l'obligation de suivre un certain nombre de cours qui ne l'intéressent pas. Il décide donc d'abandonner ce cursus, sans en informer ses parents qui se sont pourtant littéralement ruinés pour l'y inscrire, et se choisit d'autres cours où il se rend en tant qu'auditeur libre. En 2005, Steve Jobs déclare : « Si je n'avais pas suivi ce cours de calligraphie, le Mac n'aurait jamais eu autant de polices d'écriture et des polices à espacement proportionnel. »
C'est une période où Steve Jobs expérimente assidument le LSD en écoutant les disques de Bob Dylan, des Beatles et des groupes phares de la contre-culture californienne. Il déclare plus tard que prendre du LSD a été l'une des deux ou trois expériences les plus importantes de sa vie. Il évoque cette substance psychotrope hallucinogène comme une des principales raisons de sa réussite, pour lui avoir ouvert l'esprit en grand. Il déclare également : « Bill Gates aurait l'esprit bien plus ouvert si, plus jeune, il avait essayé l'acide une fois ou s'il s'était rendu dans un ashram ».
Carrière
Début
Après avoir passé dix-huit mois au Reed College, Jobs revient chez ses parents à Los Altos en 1974 pour se trouver un emploi. Le hippie négligé qu'il est se présente chez Atari, firme en vogue à l'époque, avec la ferme intention d'y obtenir un emploi. Il s'attire les faveurs de son patron Nolan Bushnell qui l'embauche comme technicien, mais pas celles de nombreux employés, du fait notamment de sa forte odeur. Il estime, en effet, que son régime alimentaire végétarien strict et tout à fait personnel lui permet d'éviter la production de mucus et de toute odeur corporelle et ne se lave donc pas. Il se retrouve donc à devoir travailler pendant le service de nuit. Pendant son séjour chez Atari, il rencontre entre autres le dessinateur industriel Ronald Wayne, avec qui il devient ami.
Il décide à cette époque de suivre la trace de son gourou du Reed College, Robert Friedland. Il entreprend donc un voyage en Inde. Sur place, il se rend à Haridwar pour le pèlerinage du Kumbhamela puis prend la direction de Nainital au pied de l'Himalaya où vivait le gourou Neem Karoli Baba. Il y rencontre l'épidémiologiste Larry Brilliant avec qui il devient ami. Par la suite, il est rejoint par son ami Daniel Kottke. Après avoir passé sept mois en Inde, Steve revient aux États-Unis, tête rasée et portant des habits traditionnels indiens, à l'image des Hare Krishna. À son retour, il récupère son poste chez Atari. Bushnell lui demande alors de concevoir le circuit imprimé du jeu Breakout avec le moins de puces possibles. À la clé, en plus de la rémunération, il y aura un bonus proportionnel au nombre de puces économisées. Pour cela, il fait appel à son acolyte Steve Wozniak pour l'aider à le réaliser. Ce dernier réussit, en quatre jours, à concevoir un circuit en n'utilisant que quarante-cinq puces. Pour le travail réalisé, Jobs annonce à son compère qu'il coupe la poire en deux, trois cent cinquante dollars chacun. Bien que Jobs le nie, certains témoins, dont Bushnell, confirment que Jobs a obtenu cinq mille dollars et non sept cents pour le travail réalisé. Wozniak, qui ne découvre les faits que dix ans plus tard à la lecture de Zap, un ouvrage sur l'épopée d'Atari, reconnaît avoir été blessé par l'attitude de son ami.
Apple Computer
En 1975, Jobs et Wozniak participent aux rencontres du Homebrew Computer Club, où les amateurs d'informatique viennent échanger leurs idées concernant les machines de l'époque, telles que l'Altair 8800. Steve Wozniak s'initie aux microprocesseurs en découvrant l'Altair équipé d'un Intel 8080. Il conçoit à la suite de cela l'Apple I pendant l'année 1975. La machine, bien que sommaire, impressionne Steve Jobs. Munis d'un petit moniteur, ils l'emmènent pour le présenter au Homebrew Computer Club. L'altruisme de Wozniak l'aurait amené à distribuer gratuitement ses schémas de montage. Jobs, au contraire, voit plus loin. Considérant que la plupart des gens n'ont pas le temps de monter une machine, Jobs et Wozniak pourraient donc assembler les circuits pour leur vendre l'ordinateur monté. Jobs suggère donc à son acolyte de créer leur propre entreprise.
Pour réunir les fonds nécessaires au lancement, Jobs, âgé de 21 ans, vend son Volkswagen Combi, Wozniak, 25 ans, sa calculatrice HP-65. L'acte de la fondation d'Apple est signé le 1er avril 1976 par Steve Jobs, Steve Wozniak et Ronald Wayne. Moins de deux semaines après, Wayne se sépare des deux Steve et récupère sa mise mais, très vite, un élément va apporter un coup d'accélérateur à Apple : Mike Markkula, un business angel californien, apporte 250 000 dollars à la nouvelle société, en plus d'un plan d'affaires. Wozniak et Jobs se mettent au travail dans le garage de la maison familiale de ce dernier, à Los Altos, où, avec quelques proches, ils assemblent les cinquante premiers Apple I que Steve Jobs a vendus au magasin Byte Shop de Menlo Park. Le nom de l'entreprise est une idée de Jobs : Apple Computer. Il est en effet dans la phase « pomme » de son régime et revient tout juste d'une plantation de pommiers. Il sait aussi qu'Apple se trouvera devant Atari dans l'annuaire. Ce nom se trouve cependant être aussi celui de la société des Beatles (Apple Corps). Cela vaudra à son entreprise plusieurs contentieux en justice durant les décennies suivantes.
Apple est constituée sous forme de société le 3 janvier 1977. Pour faire la promotion de ses produits, Jobs contacte le grand publicitaire de la vallée, Regis McKenna. L'une des priorités est de trouver un nouveau logo. Steve Jobs précise alors « je veux un truc évident sans chichi ». Début juin 1977, Apple commercialise l'Apple II, conçu par Steve Wozniak. Il peut être considéré, trois ans avant la sortie de l'IBM PC, comme le premier ordinateur personnel construit à grande échelle. Il rencontre le succès et fait la richesse de la jeune entreprise. En 1978, Apple recrute Michael Scott de la National Semiconductor afin de devenir son directeur général. En décembre 1980, Apple, qui a gagné sa renommée avec l'Apple II, est introduite en bourse, ce qui fait de Steve Jobs un multimillionnaire à vingt-cinq ans et enrichit considérablement environ trois cents de ses dirigeants et cadres, mais pas Daniel Kottke. Le grand ami d'adolescence de Steve Jobs n'occupe pas un poste hiérarchique assez élevé pour détenir des actions et le jeune patron se montre intraitable avec lui en refusant catégoriquement de lui permettre de profiter de cette manne.
Au début des années 1980, Jobs est l'un des premiers à cerner le potentiel commercial de l'interface graphique couplée avec l'usage d'une souris développée au Xerox PARC. Pour avoir accès à cette technologie alors balbutiante, il propose aux responsables de Xerox d'investir dans Apple (à hauteur d'un million de dollars en actions Apple) et, en échange, Steve et ses collègues obtiennent l'autorisation en décembre 1979 de se rendre au PARC pour y voir une démonstration complète du système développé par les ingénieurs de Xerox. Ce qu'ils y voient leur sert de base à la conception de leur interface maison à laquelle ils apportent leurs propres améliorations. Cela conduira au lancement de l'Apple Lisa en 1983 puis du Macintosh en 1984, les premiers ordinateurs personnels à profiter de ces innovations qui restent aujourd'hui le standard général. À la question de savoir s'il s'agit de ce qui a pu être considéré comme le « plus grand vol industriel de l'histoire », Steve Jobs répond : « Il faut savoir prendre ce que l'homme fait de mieux et le refaçonner pour pouvoir l'intégrer dans votre propre œuvre. Picasso avait une maxime pour ça : « Les bons artistes copient, les grands artistes volent. » Et, à Apple, on n'a jamais eu de scrupules pour prendre aux meilleurs », et ajoute à propos de Xerox qu'ils ont raté le coche, qu'ils n'avaient pas conscience du potentiel de ce qu'ils étaient en train de développer alors qu'ils auraient pu devenir les maîtres de toute l'industrie informatique.
Le projet Macintosh est lancé et mené par Jef Raskin, brutalement écarté pour des problèmes d'ego par Steve Jobs en février 1981, lorsqu'il s'en saisit pour mettre en pratique ses idées — déjà développées sur le Lisa — d'une machine avec interface graphique et souris. Débarqué du projet Lisa quelques mois plus tôt par Michael Scott et Mike Markkula qui trouvent que ses accès de colère empêchent son équipe de travailler sereinement, il prend dès lors la tête d'un groupe de jeunes ingénieurs talentueux (au premier rang desquels figurent Andy Hertzfeld, Bill Atkinson, Burrell Smith, Susan Kare, Joanna Hoffman, Bud Tribble9) dont certains resteront ses amis. Ils sont regroupés dans un bâtiment sur lequel flotte un drapeau noir orné d'un crâne barré par deux os et se baptisent « les pirates ». Ils conçoivent ce que tous les utilisateurs d'ordinateurs ont connu : une souris à un seul bouton, qui déplace le pointeur à l'écran dans toutes les directions grâce à une unique bille placée en dessous et qui doit pouvoir comme le spécifie Jobs « rouler sur du Formica comme sur mon jean » (bien loin du concept de départ des ingénieurs du PARC), les menus déroulants, le « glisser-déposer », le chevauchement des fenêtres, les icônes, la corbeille, apportant des évolutions décisives au principe du WYSIWYG (What You See Is What You Get/Ce que vous voyez est ce que vous obtenez) et donc à ce qui est connu sous le nom de « bureau ».
Steve Jobs veut embaucher les meilleurs pour chaque poste et sa façon de recruter peut se révéler très déstabilisante pour les candidats. Andy Hertzfeld raconte ainsi un entretien d'embauche pour le poste de responsable de la division logiciels auquel il assiste début 1982. Jobs demande à l'impétrant, interloqué : « Êtes-vous puceau ? », et enchaîne : « Combien de fois avez-vous pris du LSD ? » « Je crois que je ne suis pas la bonne personne pour ce job », répond le candidat. « Moi non plus, l'entretien est terminé » lâche Jobs devant ses plus proches collaborateurs qui répriment un fou-rire.
C'est dans cette même période, en 1983, que Steve Jobs débauche John Sculley, alors directeur général de Pepsi, pour remplacer Scott, en lui demandant « Comptez-vous continuer à vendre de l'eau sucrée le reste de votre vie ou voulez-vous changer le monde avec moi ? » Le lancement du Macintosh est accompagné d'une campagne publicitaire d'envergure décidée par Jobs et Sculley. Pendant la mi-temps du XVIIIe Super Bowl, le 22 janvier 1984, Apple fait diffuser à la télévision le spot publicitaire 1984 réalisé par Ridley Scott devant plus de 90 millions de téléspectateurs. Ce spot remportera plusieurs prix prestigieux et redéfinira la façon dont les entreprises envisagent leurs campagnes publicitaires, en privilégiant de montrer le signe, l'évocation, plutôt que le produit en lui-même.
Bien que Jobs soit un chef charismatique et persuasif, certains salariés d'Apple le décrivent comme erratique et capricieux. Bud Tribble invente à cette époque le terme de « champ de distorsion de la réalité » qu'il emprunte à la série Star Trek et qui décrit la capacité de son patron à imposer aux autres ses conceptions, quelles qu'elles soient. Ce dernier n'hésite pas, en effet, à humilier ses collaborateurs en public et est réputé pour sa vision « binaire » de leur travail : soit « c'est génial », soit, le plus souvent, « c'est de la merde ». Le même principe est appliqué aux êtres humains qui sont soit « brillants », « éclairés » et peu nombreux, soit font partie de la masse des « demeurés », des « joueurs de seconde ou troisième division » qui tirent une entreprise vers le bas et dont il faut se séparer au plus vite. Jobs est capable de repousser une idée d'un de ses collaborateurs en la qualifiant de « stupide » et de revenir plus tard en s'étant attribué cette idée. Il sait imposer des délais qui paraissent impossibles à tenir en disant juste qu'il n'acceptera aucune objection. Par ailleurs, il scelle le malheureux destin du Lisa (échec commercial, rapide arrêt de la production) en rendant le Macintosh incompatible avec cet appareil et crée un rapport de force et un lourd climat de tension entre son équipe et celle qui s'occupe de l'ordinateur qui continue à cette époque à assurer l'essentiel des revenus de son entreprise, l'Apple II, en expliquant notamment : « C'est mieux d'être un pirate que de rejoindre la marine ».
La relation entre Jobs et Sculley devient tendue en raison des ventes en berne fin 1984. Une lutte de pouvoir interne va les amener à se tirer dans les pieds. Jobs manœuvre pour débarquer Sculley, sûr de son fait, mais, à son grand dam, ce dernier réussit dans les derniers jours de mai 1985 à ranger l'ensemble des membres du conseil d'administration de son côté, et ceux-ci décident donc d'écarter Steve Jobs, en le « mettant au placard », déchargé de tout rôle décisionnel et opérationnel, avec le vague titre de responsable du « Global thinking » dans un bureau éloigné du centre décisionnel de l'entreprise. Désabusé, il quitte la société en septembre 1985 pour fonder NeXT Inc. et ne parlera plus jamais à John Sculley.
NeXT Computer
Après son départ amer d’Apple, Jobs fonde NeXT Computer, en déboursant sept millions de dollars. Il s'attire par ailleurs des ennuis en justice avec Apple, car il emmène avec lui quelques-uns des plus brillants ingénieurs. Un an plus tard, manquant de fonds et en l’absence d’un produit sur le marché, il se lance à la recherche d’investisseurs. Il attire l’attention du milliardaire Ross Perot qui investit massivement dans la société. La station de travail NeXT, le NeXT Computer, est commercialisée en 1988 pour un prix de six mille cinq cents dollars. À l’image du Macintosh, les ordinateurs NeXT possèdent une belle avance technologique, mais leur coût se révèle prohibitif pour le secteur de l’éducation auquel ils sont destinés. Et les ventes sont très décevantes. Les produits de la marque gagnent toutefois une belle réputation pour leurs atouts techniques, au premier rang desquels figure la programmation orientée objet. Jobs veut vendre les produits NeXT aux communautés financière, scientifique et académique, soulignant les nouvelles technologies innovantes et expérimentales de l'ordinateur, telles que son noyau Mach, son processeur de signal numérique et le port Ethernet intégré.
L’ordinateur de seconde génération, le NeXTcube, est commercialisé en 1990. Jobs qualifie ce produit de « premier ordinateur interpersonnel » qui va remplacer l’ordinateur personnel. Avec son client de messagerie NeXTMail, un système multimédia de courrier électronique, le NeXTcube peut pour la première fois offrir le partage de la voix, de l’image, des graphismes et de la vidéo dans un courriel. « L’informatique interpersonnelle va révolutionner la communication et le travail de groupe. Nous avons des années d'avance », explique un Steve Jobs visionnaire à des journalistes le 31 mai 1990. D'ailleurs, Tim Berners-Lee invente à cette époque le World Wide Web au CERN sur un NeXT Computer.
Steve Jobs dirige NeXT avec une obsession de la perfection esthétique, comme le souligne le développement et l’attention portée au cadre magnésium du NeXT Cube, en mettant une pression terrible à la division « matériel » de sa société. En 1993, après n’avoir vendu que cinquante mille machines, NeXT abandonne la fabrication pour se consacrer exclusivement au développement de logiciels, avec la mise en vente du NeXSTEP/Intel. La société annonce ses premiers bénéfices de 1,03 million de dollars en 1994. En 1996, NeXT Software, Inc. commercialise WebObjects, un système conçu pour le développement d’applications web. Après l’acquisition de NeXT Software par Apple en 1997, WebObjects est utilisé pour concevoir et exploiter les Apple Stores, l’ITunes Store et les services en ligne de MobileMe. Avec le recul, il dit à propos de ces années-là « Je ne le comprenais pas encore à l'époque, mais avoir été viré d'Apple a été la meilleure chose qui pouvait m'arriver. Cela m'a libéré et m'a permis d'entrer dans une des périodes les plus créatives de ma vie ».
Retour à Apple et montée en puissance de l'entreprise
En décembre 1996, Apple annonce son intention de racheter NeXT. L’opération, effective le 4 février 1997, est estimée à 429 millions de dollars. Propriétaire à 45 % de NeXT, Steve Jobs obtient cent millions de dollars ainsi qu'un million et demi d'actions Apple. Cela lui permet de reprendre pied dans la société qu’il a cofondée en tant que « conseiller à mi-temps ». Steve Jobs déclare en janvier 1997 : « Je pense que nous avons l'occasion de prendre la prochaine grande étape technologique et de dépasser Microsoft et tous les autres ». Apple est à ce moment au bord de la faillite. Il redevient de facto le patron d'Apple lorsque le directeur général de l’époque, Gil Amelio, est remercié en juillet 1997. Jobs est officiellement nommé « directeur général par intérim » au mois de septembre. À cette époque, il est surnommé iPDG (iCEO) par ses équipes qui s'inspirent de la lettre « i » comme marque de fabrique désignant les produits à venir. Selon Adam Lashinsky dans son ouvrage Inside Apple publié en 2012, la lettre i faisant référence au statut d'intérimaire du PDG. Le site Reference for Business attribue cette première lettre à l'attrait vendeur d'Internet.
En mars 1998 et afin de concentrer les efforts d’Apple sur un retour aux bénéfices, il met un point final aux programmes Newton, Cyberdog et OpenDoc ainsi qu'à la vente de licence Mac OS afin d'empêcher la multiplication des « clones » et explique à ses collaborateurs qu'ils doivent désormais se concentrer sur pas plus de quatre produits. Il met au point le slogan Think different avec son erreur grammaticale délibérée, en compagnie de son ami publicitaire Lee Clow, et lance une grande campagne d'affichage et un spot télévisé intitulé The Crazy Ones (les fous) où ce « penser différent » est illustré avec les plus grandes figures du XXe siècle, comme Albert Einstein, Gandhi, Martin Luther King, John Lennon, Alfred Hitchcock, Bob Dylan, Pablo Picasso.
La technologie de NeXT étant devenue propriété d’Apple une fois le rachat conclu, bon nombre de ses réalisations vont trouver place dans les produits de la firme à la pomme, au premier rang desquels figure NeXTSTEP qui est la base du système d’exploitation Mac OS X.
Sous la houlette de Steve Jobs, Apple se déploie avec tout d’abord l’introduction de l’iMac en 1998 puis, chaque année, de nouveaux produits qui assoient la puissance de la marque. Lors de la Macworld Expo de l’an 2000, Steve Jobs enlève officiellement « intérim » du titre de sa fonction et devient directeur-général permanent. Dans le même temps, il souligne qu’il utilisera le titre « iCEO ».
Apple continue son développement, introduisant et développant de nouveaux appareils numériques et leur environnement au cours des années 2000. Avec le lancement de l’iPod et d’iTunes en 2001 puis de l’iTunes Store en 2003, la société crée une véritable révolution dans l’industrie de la musique, désormais dématérialisée. Steve Jobs supervise dans le même temps la création de la chaîne de magasins Apple Store, d'abord aux États-Unis puis dans le monde entier. Le succès est fulgurant. Le 29 juin 2007, Apple entre dans le marché des téléphones portables avec la commercialisation de l’iPhone, un appareil cellulaire doté d’un écran tactile multi-touch qui comprend aussi un iPod et un navigateur web, révolutionnant là aussi le marché de la téléphonie mobile, Steve Jobs ayant comme le dit le président des États-Unis Barack Obama « mis l'internet dans nos poches ». Il lance l'année suivante un véritable « écosystème » pour cet appareil, et bientôt pour tous les produits Apple : l'App Store, créant ainsi une forme de standard pour tous les smartphones.
Le 27 janvier 2010, Steve Jobs présente l’iPad, une tablette numérique reprenant le principe de l’écran tactile multipoints. C’est encore une forme de révolution, la porte ouverte à un nouveau marché dans lequel vont s'engouffrer bien des marques. Sans parvenir à égaler son succès, l'iPad captant 62 % du marché mondial des tablettes en 2011. Enfin, tous les contenus personnels des utilisateurs stockés sur les différents appareils se retrouveront dans le « nuage numérique », l'iCloud, à partir duquel ils pourront être redistribués « n'importe où, n'importe quand », un service présenté par Jobs en juin 2011, lors de sa toute dernière keynote.
Sur l'enchaînement des deux derniers produits phares d'Apple, Steve Jobs explique à Walt Mossberg lors du forum D8 en 2010 : « Tout a commencé avec la tablette. J'avais cette idée de pouvoir se débarrasser du clavier et de pouvoir écrire sur un écran en verre, multipoints, avec ses doigts. J'ai demandé à mes collaborateurs : « Alors, vous pouvez réaliser ça pour moi ? » Six mois plus tard, ils sont revenus avec un prototype. Je l'ai alors donné à un de nos brillants ingénieurs de la division UI (interface utilisateurs). Il a obtenu cet effet de défilement inertiel et élastique ainsi que d'autres choses fantastiques, et je me suis dit « Mon Dieu, on peut construire un téléphone avec ça ! » J'ai alors mis le projet tablette de côté car produire un téléphone était quelque chose de bien plus important et, durant les deux années suivantes, nous nous sommes mis au travail sur l'iPhone. Avec tout ce que nous avons appris sur l'iPhone, nous sommes ensuite retournés à la conception de l'iPad ».
À partir d'août 2011, après quatorze années de montée en puissance sous la direction de son charismatique patron et au gré des fluctuations du marché, Apple est l'entreprise la plus riche au monde par sa capitalisation boursière, son trésor de guerre dépassant notamment celui du gouvernement des États-Unis. L'entreprise qu'il a fondée continue sa course en tête à partir de 2012.
Toujours enclin à stimuler l’innovation, Jobs n’a jamais manqué de rappeler à ses collaborateurs une vieille maxime qu’il avait trouvée à l’époque du lancement du Macintosh : « Real Artist Ship », c'est-à-dire que les vrais artistes savent aussi vendre leurs créations, et que la finalité d’un produit reste d’être distribué au public. De son vivant, Steve Jobs est à la fois admiré et critiqué pour ses formidables talents de persuasion, ce fameux « champ de distorsion de la réalité », c’est-à-dire qu’il est capable d’altérer la perception de son ou de ses interlocuteurs pour leur faire adopter ses propres conceptions, qu’elles se révèlent par la suite justes ou non. Il sait ainsi décrocher des partenariats, avec l’industrie de la musique ou les opérateurs téléphoniques, à des conditions exceptionnelles pour son entreprise. Ce talent particulier apparaît au grand public lors des discours de Steve Jobs aux Macworld Expos ou aux Worldwide Developers Conferences, où il présente l’actualité de son entreprise lors de ses keynotes, renommées pour l’occasion Stevenotes. Lors de ces grandes messes où il parcourt la scène en jeans, baskets, et vêtu d'un pull à col roulé de marque, le patron d'Apple sait captiver son auditoire, notamment en répétant à l'envi des mots récurrents tels que gorgeous, unbelievable, fantastic, hot, great, incredible, magical, wonderful, amazing, awesome, revolutionnary, extraordinary, phenomenal, supercool, terrific, huge, tremendous, exciting, beautiful, remarquable, etc. Il sait aussi maintenir le suspense et ravir son public avec le fameux « One more thing » (« encore une petite chose ») qu'il prononce à la fin de ses présentations pour annoncer par surprise une autre nouveauté importante.